SIMON une histoire en trois planches créée avec Zélia Devooght
HANTÉE une histoire en trois planches créée en Novembre 2024.
Le dernier séjour à Quintette
     Il est neuf heures et toute la famille présente s’agite pour nettoyer les dernières pièces presque vides de la maison. Les matelas des premiers réveillés sont encore posés en vrac sur la terrasse. Ils attendent là depuis six heures du matin qu’on les emmène à la déchetterie. On enchaîne les cafés et on évite de regarder l’heure en passant récupérer le sucre dans la cuisine. Certains s’occupent du premier étage : on met les restes de nourritures, les épices pas encore ouvertes, les shampoings à moitié entamés et les bouteilles d’alcool datant du siècle dernier dans des sacs; on jette les draps par terre dehors; on récupère les babioles qui traînent sur les étagères, les maillots de bain encore mouillés sur le fil à linge, et on tente de les glisser dans ses bagages. D’autres s’occupent de l’ancien garage aménagé en rez-de-chaussée indépendant. Tout doit partir. Il ne reste plus que le papier peint de montagne en bas qui ferait presque oublier la proximité de la plage, si ce n’était pour le sable qui traîne encore par terre.
Dès qu’une pièce est vide, on amène l’aspirateur, on s’occupe des toiles d’araignées que l’on ne pouvait pas voir derrière les affaires restées depuis plusieurs années et on ferme les volets. Les tâches s’enchaînent, non sans quelques moments de désespoir face à tout ce qu’il reste à faire. On tente de se rassurer en se disant que la maison n’a jamais été aussi propre. Un coup de serpillère par terre, un coup d’aspirateur sur les murs, un coup d’éponge dans les placards, on reste en mouvement pour éviter de laisser la fatigue venir ou pire, les émotions.
     Au fur et à mesure que les pièces se vident, les cartons à emmener s’entassent sur la terrasse. Il reste ensuite à faire tout rentrer dans les voitures. Toutes les affaires accumulées d’été en été; les albums photos empilés dans des cartons; tout ce dont l’on n’a pas réussi à se débarrasser, du post-it écrit à la main aux pions de petits chevaux qui renvoient aux soirées chaudes du mois d’août. Tant de souvenirs qui imposent un silence presque sacré en faisant rentrer les affaires dans les voitures. On glisse comme on peut les cartons dans le coffre, des sacs aux pieds, une couverture pour caler la vaisselle et la guitare, une dernière chaise à jeter en partant.
     Midi, l’heure de la signature. L’un s’en va finaliser la vente de la maison tandis que les autres terminent leur café sur la terrasse. Les nuages cachent le ciel mais c’est sûrement mieux. “On a moins de regrets de partir quand il fait moche” disait toujours la grand-mère. Difficile de ne pas penser à elle aujourd’hui. On prend le temps de se rappeler quelques bons souvenirs ensemble. Les absents envoient des messages de soutien. On prend des photos des pièces inhabitées. On essaye de s’occuper mais on ne sait pas trop quoi faire, on ne sait pas comment bien profiter avant le départ. Les cafés terminés, les dernières cigarettes consumées et tous les bagages rangés, on jette ce qui traîne encore sur la table dans un gros sac poubelle. Tant pis pour cette tasse et ce cendrier, les voitures débordent déjà.
     Treize heures, on fait un dernier tour pour vérifier que l’on n’a rien oublié et une première voiture s’en va. Les deux autres sur le départ vont suivre de peu. Dans la voiture, le ventre noué, personne ne parle. Seule la question que tout le monde attend vient briser le silence : “On passe une dernière fois par le bord de mer ?”.
     Après trente cinq ans, une nouvelle famille va maintenant s’installer dans cette villa en bord de mer.
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